Barbara, La dame en noir
Tout ou presque, chez elle, ramenait aux fantômes du passé, bien qu'elle chantât : l ne faut jamais revenir/Aux temps cachés des souvenirs/ Ceux de l'enfance sont les pires/Ceux de l'enfance nous déchirent.La sienne, pauvre mais joyeuse, aux Batignolles, où elle naît Monique Serf en 1930, s'obscurcit la guerre venue. De cette époque, elle brûlera les photos.
Elle fait la plonge à La Fontaine des Quatre-Saisons. Chante, quand elle ne tient pas la caisse, au Cheval Blanc, à Bruxelles. Fait de vrais débuts, à la fin des années 1950, en interprétant à l'Écluse, Brassens, Ferré et Brel : J'étais face au mur et, très myope, ne voyais pas les gens mais je les entendais dire : Ah, qu'elle est laide!
Je n'ai pas d'imagination. Je n'ai que ma vie et les choses qui m'ont bouleversée. Je fais de la chanson engagée... d'amour. La consécration survient en 1965. Après la sortie de son premier album personnel, Barbara chante Barbara, l'artiste triomphe à Bobino. À rebours des modes rock et yé-yé, Nantes, À mourir pour mourir, Au bois de Saint-Amand, bouleversent un public auquel elle dédit Ma plus belle histoire d'amour.
Déjà, la légende s'empare de la longue Dame brune. Parce que ses tranches de vie ressemblent à des requiem, on pense qu'elle affiche à longueur de journée un visage de carême. En réalité, racontera son accordéoniste Roland Romanelli, Barbara était très drôle.
Du genre à chanter à tue-tête du Stone et Charden, ou à tricoter pour ses proches d'énormes écharpes à trous. Qu'est-ce qu'elle a pu me faire rire, confirmera son éclairagiste Jacques Rouveyrollis. Chez elle, on regardait le dessin animé Candy et l'on faisait des parties de Scrabble endiablées. C'était une petite fille.
Mais parce qu'en tragédienne du music-hall, elle ne dit rien d'une vie privée qu'on imagine aussi chaste que son personnage de scène, d'aucuns l'imaginent étrangère aux plaisirs de la chair. Et pourtant... Elle a beaucoup aimé, avec intensité, confiera son ami éditeur Claude Durand. Elle a eu des aventures avec de vrais mecs et a beaucoup bourlingué.
Son mariage précoce avec Claude Sluys, comme ses liaisons avec Serge Reggiani, Pierre Arditi, ou encore son amitié amoureuse avec Jacques Brel sont des plus discrètes. Après l'apogée discographique de L'Aigle noir, en 1970, puis son installation dans sa maison de campagne de Précy-sur-Marne, en 1973, l'artiste espace ses sorties médiatiques.
Chaque concert, jusqu'à l'album Seule, en 1981, puis le spectacle Lily Passion avec Depardieu, cinq ans plus tard, créent l'événement tout comme son soutien à Mitterrand. Cette femme d'une générosité folle, qui fait installer chez elle une ligne directe avec les malades du sida et achète des centaines de jouets qu'elle distribue dans les hôpitaux, ne s'économise pas. Malade, c'est sa voix qui lâche la première. Avant qu'un choc toxi-infectieux la foudroie, à 67 ans. Jusqu'au bout, Monique Serf aura traversé l'existence en funambule, sur le fil de sa vie. Entre réalisme et poésie, ferveur et tragédie.
Bio express
1930 Naissance de Monique Serf à Paris.Enfance aux Batignolles. Traumatisme de l'inceste commis par son père. 1965 Huit ans après son premier 45 tours, consécration avec l'album Barbara chante Barbara et ferveur immédiate du public. 1973 Trois ans après le triomphe de L'Aigle noir, elle s'installe à Précy-sur-Marne, chante Marienbad, puis se fait plus discrète. 1997 Barbara décède à l'hôpital américain de Neuilly d'un choc toxi-infectieux d'évolution foudroyante. Elle avait 67 ans.